[Prévu de longue date et issu d’une discussion par mail avec Serge Roukine depuis 3 semaines, ce post tombe finalement assez mal dans les circonstances actuelles. Nous le publions tout de même, après nous être longuement demandé s’il le fallait ou pas. Désolé pour ceux que ça choquera, cela nous semble un clin d’oeil assez sympa au personnage fort en gueule, et ce sans considérations politiques pour le bonhomme. Serge & Guilhem]

Guilhem : Serge, lorsque je t’ai croisé au dernier salon du e-commerce, on a bien papoté, évidemment, en vieux briscards des salons que nous ne sommes pas encore 😉

On a parlé tendances du e-commerce, évolution du salon (et de la présence renforcée de costards-cravates cette année), et de tout un tas d’autres trucs. On a également repris en live une discussion commencée plusieurs mois plutôt, sur le fait de savoir s’il faut créer sa startup sur une niche, ou pas (lire ici et ici).
Et là, on peut l’avouer, tu m’as cité Georges Frêche, lorsqu’il dit qu’il fait campagne pour les cons, parce qu’au moins il est sûr de ratisser large.
Au-delà de la rigolade, je vois complètement ce que tu veux dire. Et encore plus le parallèle maintenant que j’ai remis la main sur la citation exacte :
« La politique c’est une affaire de tripes, c’est pas une affaire de tête, c’est pour ça que moi quand je fais une campagne, je ne la fais jamais pour les gens intelligents. Des gens intelligents, il y en a 5 à 6 %, il y en a 3 % avec moi et 3 % contre, je change rien du tout. Donc je fais campagne auprès des cons et là je ramasse des voix en masse. »
Si on change ne serait-ce que quelques mots, on arrive au fait qu’un entrepreneur ne fait pas une startup pour une trop petite niche… C’est bien ton point de vue ?
.
Serge : Oui, même si faire du business dans une niche n’est pas toujours une erreur. Il existe de nombreuses niches très rémunératrices. Cependant, et je pense notamment au net, un business de niche nécessite que l’on sache attirer suffisamment de clients et les facturer de fortes sommes si on veut atteindre la rentabilité. C’est pourquoi je conseille d’essayer de regarder au-delà de la niche et de cibler un marché de masse.
Nous ne prenons bien sûr pas position sur les déclarations ou idées politiques de Georges Frêche. Toujours est-il que sa phrase, volontairement provocante, ouvre l’esprit ! En effet, on voit tellement de business modèles alambiqués, d’offres si compliquées que même un pitch d’une heure ne saurait venir à bout.
Les dernières révolutions du web s’adressent-elles en priorité aux 6% de gens intélligents ? Non ! Les Facebook, Zynga et autres Groupons répondent à des besoins tout bêtes, à la portée de tous et surtout universels. Leur cible potentielle est illimitée.
Il est tentant, voir naturel, de se lancer dans un business car il est d’abord valorisant pour son égo (une offre élitiste, s’adressant à un happy few). Mais pour quel résultat business ? A ton avis, Guilhem, ce serait du snobisme entrepreneurial ? Et si oui, comment l’éviter ?
.
Guilhem : Bonne question. Je crois surtout que l’on vit dans une sorte de bulle, où les créateurs d’entreprise ont fait des études plutôt longues, s’adresse à des gens pas très différents d’eux, comptent lever des sous auprès de personnes ayant fait des études encore plus brillantes (et vivant dans un monde où tout le monde est un peu comme cela).

D’ailleurs, il n’est pas rare de voir de jeunes entrepreneurs faire leur étude de marché auprès de leurs copains et leurs copains de copains.

Du coup, cela devient très compliqué (mais c’est là qu’on fera la différence) d’effectivement être ouvert sur toutes les opportunités business qui nous entourent. D’ailleurs, les plus belles réussites actuelles du web s’adressent bien à des marché « de masse » : Meetic, PriceMinister, Vente-Privée…
Au-delà donc de la niche, et c’est en ça que je comprends ton propos, c’est vers un marché important qu’il faut se tourner, en trouvant parmi celui-ci un sous-marché qui servira de test. J’ai juste ? Ce ne serait donc qu’une phase de la startup que de réduire volontairement son champ de vision, APRES avoir analysé et visé un gros marché, pour faire ses preuves ?
.
Serge : A vrai dire, je ne sais pas si c’est une bonne stratégie. Je n’ai pas la prétention d’être professeur d’entrepreneuriat, je préfère être prudent. Mais finalement ce que tu proposes ne revient-il pas à segmenter son audience ? Je m’explique : je conçois un business modèle de masse, mais je commence à commercialiser mon produit ou service sur un segment particulier de client : les plus réceptifs, les early adopters, ceux qui utilisent déjà une solution concurrente etc. Alors, oui, dans ce sens je suis assez d’accord, cela me semble une bonne pratique.
Toutefois, il y a quelque chose dans la phrase de G. Frêche que tu as relevé aussi : il dénonce cet élitisme, ou le fait de faire de la politique ou du business pour ceux qui sont intelligents. Ou plutôt qui sont « comme nous ». L’idée derrière est donc aussi de dire : lorsque vous communiquez, ne partez pas du principe que tout le monde comprend (1) votre offre (2) ce que vous dites pour la vendre ! On dépasse là la simple problématique de conception de l’offre et on touche le problème du marketing et de la communication. Toi qui écoutes beaucoup de pitches de start-up, je crois savoir que tu as quelques idées sur le sujet, non ?
.
Guilhem : Effectivement, on touche là du doigt les fondements de la création d’entreprise :
– Faire simple et le dire simplement
– Parler aux gens d’un problème qui les concerne
Je me suis rendu compte d’une chose en écoutant comme tu le dis beaucoup de « pitchs » : une fois sur trois, la première chose qu’on demande à la fin d’une présentation, c’est « ce que l’entrepreneur veut faire et ce qu’il offre », preuve que bien souvent, ce n’est vraiment pas clair. Et donc pour faire la différence, c’est important de (1) faire rêver en montrant le potentiel puis (2) expliquer très concrètement comment on va y arriver. Et c’est là que le fait d’avoir une bonne segmentation aide…
Au final, on est presque d’accord ! Je te laisse donc sans souci le mot de la fin !
.
Serge : Nous venons d’apprendre la mort de George Frêche, et forcément la conclusion est un peu empreinte de tristesse. Nous avions commencé ce dialogue il y a plusieurs semaines. Il me semble que c’est un bon jour pour publier ce billet. Ce sera en quelque sorte notre hommage au bâtisseur montpelliérain.

Le politiquement incorrect est un exercice de haute voltige, dont les auteurs ne sortent que rarement indemne. Et pourtant, nous espérons que toutes ces considérations vous ont donné à réfléchir et vous permettrons peut-être de mieux cibler votre marché et de mieux communiquer sur votre offre.

.

Serge Roukine est le fondateur de codeur.com, et l’auteur d’un très bon livre sur la conversion. Il est un excellent camarade de discussion pour tout ce qui touche au web, aux startups, et à notre petit écosystème de la création d’entreprise… Et lui aussi sait faire preuve de gouaille et de politiquement incorrect, ce qui nous avait amené à cette discussion sur la citation de Frêche.