Et ça existe en Amérique ?

Je parlais hier d’une question qui revient comme un rituel lors des questions-réponses post-présentation de startups, celle de la scalability, ou capacité à grossir de manière industrielle.

Une autre question rituelle (on va finir par croire que ce n’est pas très compliqué d’être de l’autre côté du jury), pour les projets plutôt web mais pas que, est la suivante : « Et ça existe en Amérique ? ».

Cette question est finalement assez intéressante, et met le doigt sur plein de choses. Et au final, on en apprend autant sur la startup en question que sur l’état de l’entrepreneuriat français…

Et ça existe en Amérique ?

Déjà, cette question dénote notre infériorité entrepreneuriale, puisque s’il existe un chouette projet qui marche bien et que vous en faite une copie, les investisseurs applaudiront des deux mains. En effet, ils sont rassurés de voir que ça marche depuis plusieurs mois ou années, et que fatalement, ça va finir par débarquer ici.

Ensuite, cela montre bien que, face à un projet innovant qui est souvent l’un des premiers en France, on manque de repère. Un investisseur, comme un directeur d’incubateur, ne réfléchit pas à l’échelle d’un seul projet, en tout cas pas pendant un phase de sélection : il compare les projets entre eux. Toute la journée, je rencontre différents porteurs de projets, et je « benchmarke » trois choses : les porteurs de projets eux-mêmes (80% de la décision), l’approche marché et la réponse au besoin (10%), et comment ils savent exécuter (10% encore, je sais compter). Et quand on n’a pas de référence en France (d’où quand même l’intérêt pour vous de creuser un tout petit peu mieux votre analyse de concurrence), hé bien on va en chercher là où l’on sait que l’on va en trouver.

Poser une telle question permet aussi de mieux comprendre le projet. Je l’expliquait ici, se comparer à des entreprises qui marchent déjà, en expliquant ce qu’on a de différent, ce que l’on va faire différemment, et pourquoi notre modèle aussi va marcher, est un bon raccourci de communication.

Historiquement, en plus, cela donne de belles réussites. Pierre Kosciusko-Morizet a créé PriceMinister en rentrant de stage aux USA, où il avait vu half.com exploser. CityDeal est un total copier-coller de Groupon, qui l’a depuis racheté. Des tas de wantrepreneurs se lancent après avoir scruté TechCrunch et autres sites d’infos sur les startups, et repéré une petite pépite à reproduire ici.  Toute une palanquée de sites actuels surfent d’ailleurs sur la tendance et commencent à faire parler d’eux : lafourchette.com (aka OpenTable), Plyce (aka FourSquare), j’en passe et des meilleures.

Bon, OK, c’est quand même triste, parce que aussi cela donne beaucoup d’échecs : le marché français n’est pas le marché américain (300+ millons de consommateurs Vs. 62 M), les gens ne sont pas les mêmes (on est moins habitués à payer pour du service), l’investissement n’est pas structuré de la même manière (hein, Laurent !?), et je trouve qu’on parle un peu trop des succès américains sans montrer aussi les échecs et il y en a de nombreux.

En bref, regarder l’autre côté de l’Atlantique est intéressant, mais cela ne permet que de benchmarker : en aucune manière ce n’est pour moi une assurance de succès. Et on ferait bien mieux d’insister sur la réponse à un vrai besoin (beaucoup ne boites ne lèvent pas pour cette raison, pas parce qu’il n’y a pas d’investisseurs en France, même si certains Angels se font parfois avoir sur des trucs plus que fumeux – ou alors ce besoin est mal expliqué), l’existence de segments de clientèle qu’on peut toucher rapidement, et bien sûr sur les équipes.

Au final, les seuls projets qui réussissent, inspirés des US ou non d’ailleurs, sont ceux qui sont en lien avec leur marché et qui arrivent à ne pas être que des boites web montées à la va-vite sur une tendance ou une mode du moment. Développer son écosystème, comprendre ses clients et être en lien avec eux… voilà ce qui permet à une startup de bien naître. Et non pas le fait d’avoir une grande soeur qui cartonne aux USA…

Vous en pensez quoi ?

5

  1. Je pense que la priorité d’un bonne entrepreneur est de faire en sorte que son business model fasse avant tout ses preuves sur le terrain. Et ce, bien avant de vouloir lever des fonds. La réalité du marché saura convaincre le plus frileux des investisseurs ou pas. Quitte à dev son concept dans son garage, il vaut mieux conquérir ses premiers clients avant de séduire qui que ce soit.

  2. Encore un super post Guilhem !
    On a du me poser la question une bonne centaine de fois !
    à Sam : bien dit mais certains modèles ne permettent pas de faire dans un garage. Cela dit c’est l’idéal d’avoir un business model qui peut se tester à échelle réduite d’abord.

  3. Effectivement, l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs !

    Si je ne suis pas contre regarder ce qui ce fait outre atlantique, un bon projet doit avoir plusieurs ingrédients.
    Miser sur un « copier/coller » me parait extrêmement dangereux car il reflète d’abord un manque d’idée et une mort annoncée au moindre changement de comportement de sa clientèle ou des marchés.

    Alors prendre « exemple » sur un modèle qui fonctionne, oui pourquoi pas, mais il faut apporter une bonne dose d’innovation par dessus visant à l’améliorer et s’assurer que le nouveau modèle/produit/service réponde à un réel besoin du marché local.

    Mais attention, n’oublions jamais de tenir compte des différences de culture, ce qui marche outre-atlantique ne marchera peut-être jamais en France… Une localisation est très souvent nécessaire sans quoi un échec cuisant pourrait stopper tout espoir de réussite…

    Merci Guilhem pour ton excellent post.

  4. Bonjour,
    C’est un peu dur (et je m’en excuse d’avance) mais à mon sens le candide « Et ça existe ausi en Amérique ? » est malheureusement la taduction d’un comportement moutonnier (trop) frequemment rencontré chez les investisseurs et parmis les membre des jurys, comité de sélection…

  5. Et si ca n’existe pas aux US? C’est encore plus difficile en France? Oui, mais pas aux US.

    Nous lancons une startup aux usa ce mois-ci car les americains veulent croire a notre projet et son marche a venir, inexistant aujourd’hui mais deja annonce dans moins de 5 ans. Alors que les institutions francaises n’ont pas voulu y croire et nous ont conseille d’aller nous installer…aux USA. Merci OSEO en particulier.

    Ceci dit, c’est pas non plus de gaité de coeur, pour une 1ere experience entreprenariale, en France, ca aurait été plus facile.

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