Rêve américain…

Quelques jours après les annonces plutôt positives de la fin des assises de l’entrepreneuriat, voilà que l’on remet les startups à l’honneur cette semaine du côté de Bercy, avec la passe d’armes autour du dossier Yahoo-DailyMotion. Excellente manière de donner gratuitement un peu de visibilité à notre écosystème :)

Comme je n’ai pas le dessous des cartes (l’histoire est sûrement un peu plus compliquée qu’il n’y paraît), je ne vais pas commenter ici si c’est bien ou pas bien. Ce qui est intéressant en revanche c’est de voir les réactions que cela suscite, ici et à l’étranger, sur l’obligation ou non de « partir à l’étranger » en se revendant, comme voie presque obligée de succès. Et il faut bien avouer qu’elles sont assez dures à notre égard… et que cela est à mon avis en grande partie lié à une incompréhension. A l’étranger en effet, la vente d’une entreprise est vécu comme un élément « normal » du cycle de vie du business. C’est assez peu romantique, comme cela peut l’être ici. Et du coup, on ne comprend pas trop pourquoi l’on pourrait s’offusquer à ce qu’une entreprise privée en rachète une autre… Business is business !

Au-delà de l’aspect philosophique (est-ce qu’un Etat peut bloquer volontairement une vente d’une entreprise privée – même si en l’occurrence l’Etat est partie prenante au capital de l’entreprise en question ?), cela remet encore une fois en lumière la difficulté qu’a l’esprit français de supporter l’idée même d’une revente. Que ce soit un acheteur venu de l’étranger ou de France, en réalité, on s’en fout un peu. La vraie question est ailleurs : si l’on n’accepte pas que l’on puisse revendre son entreprise (et dégager des gains pour chaque actionnaire), cela casse durablement l’appel d’air qui peut pousser des entrepreneurs à se lancer. Et cela ne reflète pas trop la réalité économique des startups, qui ne sont pas toutes amenées à pouvoir se développer durablement seules… la concentration ayant aussi du bon, parfois ! (personne ne semble s’inquiéter lorsque qu’une entreprise de bâtiment française se fait racheter, par exemple…).

Alors que Criteo, autre startup française à succès, s’apprête à s’introduire en bourse à New-York (voilà quelque chose qui n’a pas été fait depuis bien longtemps !!) et que l’on parle d’une valorisation dépassant aisément le milliard de dollars, prouvant ainsi que l’on peut devenir global depuis ici (même si l’internationalisation a été fortement entamée depuis longtemps), la question mérite d’être posée : faut-il être dogmatique sur des sorties, tant que notre écosystème n’est pas suffisamment consolidé ? Tant que l’on n’a pas un peu plus de « riches » qui réinvestissent l’argent qu’ils ont gagné dans de jeunes pousses ?

J’ai l’intuition que tout écosystème grandissant connaît une phase où il n’est pas assez grand pour croître uniquement par lui-même. Et que l’on doit accepter la « perte » (même si je pense que c’est une bêtise de croire que c’en est une de manière absolue) de quelques éléments brillants. Et d’ailleurs, en réalité, il s’agit d’un échange. Ok, peut-être que Dailymotion serait amenée à disparaître, mais nous gagnerions : de la visibilité, une belle exit, des ingés et marketeux français qui iraient se frotter au top en la matière (même si Yahoo a dû bien se faire piller dernièrement), des entrepreneurs riches, des connexions avec l’écosystème américain, l’expérience de tels deals… permettant d’être plus forts demain, et de négocier d’autres termes (et pourquoi pas être en position de force).

A l’époque médiévale (ou encore aujourd’hui par endroit), les rois de petits royaumes mariaient leurs filles ou fils avec des royaumes plus importants, afin d’assurer des développements futurs plus importants, assurer une paix, lever une armée, avoir des vivres, … Evidemment, c’était un traumatisme pour les familles et des arbitrages sans doute pas si faciles que cela… Mais on ne devrait pas être très loin de cette situation aujourd’hui…

dailymotion-game-of-throne

 

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  1. La France y gagnerait, c’est clair ! Trop d’interventionnisme tue-t-il l’esprit d’entreprendre, je ne sais pas mais ce qui est sûr c’est que ça envoie un très mauvais message… Post très intéressant, merci Guilhem !

  2. Je suis globalement d’accord, mais il y a quelques petits bémols :
    Dailymotion a déjà été vendue par ses fondateurs. La revente à yahoo de ferait pas de Benjamin Bejbaum et Olivier Poitrey des entrepreneurs plus riches qu’ils ne le sont actuellement.
    La valorisation de 300 M€ est globalement faible pour un des sites les plus visités du monde avec plus de 100 millions de VU par mois. (quand google a racheté YT 1,65 milliards en $ alors que YT faisait 20 millions de VU par mois).
    Le seul avantage aurait été l’audience et la visibilité supplémentaire apportée.
    Est-ce que ça vaut suffisamment pour brader la valo ?

    • C’est bien pour cela que je ne commente pas vraiment l’affaire en elle-même, plutôt la relation difficile avec l’exit, en France (alors que c’est un des piliers de la bonne santé de l’écosystème), et que j’essaie de lier ça avec un niveau de maturité qui impose presque pendant un certain temps de « laisser partir » quelques fleurons…

      D’ailleurs, ce serait intéressant que les boites FR aillent aussi être prédateurs dans d’autres pays…

    • A l’époque du rachat de Youtube, Google a misé sur le potentiel (good job) de ce site qui pouvait devenir la plus grande chaîne de TV du monde. On parlait de CPM à 10$, ce qui donnait des chiffres sympas. A cette époque Dailymotion tirait vraiment son épingle du jeu en offrant un meilleur service. Cependant sur ce marché, winner takes all et Youtube est devenu la référence incontestable. C’est pourquoi il est très délicat de comparer des valos par rapport aux VU.
      Montebourg est peut être arrivé 6 ans trop tard :(

  3. La métaphore écosystème prend tout son sens. Quand il y a un sol vierge, des plantes pionnières adaptées à ce type de milieu viennent le coloniser. Ce faisant elles modifient les conditions du milieu et permettent à d’autres types de végétaux de s’implanter à leur tour. Ainsi de suite … Dans certaines conditions, on peut retracer une succession de la « mauvaise herbe » de départ à la forêt de chênes centenaires. Dans d’autres cas, les conditions environnementales « produisent » un écosystème stabilisé composés d’arbustes ou encore une prairie avec quelques grands arbres de loin en loin ou encore provoquent une dégradation du milieu entraînant érosion et stérilité .
    Une autre façon de voir les choses : c’est la mort et la décomposition des végétaux qui crée la terre qui permet la vie des végétaux.
    De plus, il n’y a plus d’écosystème « naturel/sauvage », la main de l’homme a mis le pied partout comme dirait l’autre, c’est juste une histoire de niveau entre une forêt domaniale, un jardin ou une serre à semis (comme c’est une métaphore végétale , il faut bien trouver l’équivalent d’un incubateur 😉 )
    Arnaud Montebourg, c’est quoi pour l’écosystème numérique ? Une pluie acide ? Un effaroucheur d’oiseaux ? une haie brise-vent ? Un pesticide qui tue les abeilles ? Une solution hydroponique ou un ver de terre ?

  4. Bien vu! J’ai surtout apprécié le passage sur la comparaison avec le monde médiéval.

  5. N’hésite pas ! J’ai bien aimé le coup du royaume médiéval, et de la princesse, encore que je ne vois pas bien qui est le roi et on pourrait aussi s’amuser avec Blanche neige , la citrouille , le chat botté ou Peau d’Âne !

  6. Winter is coming…

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