Je sais qu’on est (normalement) en plein milieu de la trêve des confiseurs, mais un article a quand même réussi à me faire tomber de stupeur tant il est un concentré de bullshit en barre : il est intitulé Vous connaissez la silicone Valley ? Paris est sur sa trace avec le projet Paris 2014. Et c’est sur TechCrunch France qu’on le trouve, comme par hasard.
Bref, si vous avez le courage de lire l’article, je vous dois quand même un éclairage sur pourquoi tant de virulence de ma part en ce beau lendemain de Noël.
Comme vous me lisez fréquemment, vous connaissez mon implication pour pousser ce qu’on appelle communément maintenant « l’écosystème », cet ensemble de choses fragiles qui font que, comme par magie à un moment, les startups trouvent un terrain adéquat pour se développer. J’en ai parlé ici, ici ou encore ici par exemple. Et à chaque fois que j’ai la conversation avec d’autres parties prenantes de cet écosystème, tous sont d’accord pour dire qu’il y a un ensemble de choses nécessaires : de la formation, un « esprit » entrepreneurial, des règles administratives, fiscales et légales (qui en plus ne changent pas tout le temps), de l’argent d’investisseurs privés, des réussites par le haut, des modèles d’entrepreneurs, des événements, une rencontre entre Biz et Tech, des programmes d’accompagnement, une certaine densité des startups, de nombreux échecs assumés et revendiqués, des early-adopters, des médias qui savent de quoi ils parlent pour couvrir l’actu des startups…
L’article d’aujourd’hui est tout le contraire de cette vision « adulte » de l’entrepreneuriat, et on bascule aisément dans un mix dangereux de « je pousse un article même si c’est Noël et que j’ai pas envie de l’écrire » et une communication politique ressemblant plus à un communiqué de presse pour annoncer le beau chiffre ronflant de 100.000m² d’incubateurs.
Alors, oui, c’est bien d’avoir un effet d’annonce, mais quand on sait que la ville de Paris « labellise » des projets privés ou publics pour faire la somme des m² qui existent déjà (allez, on comptera de la même manière Paritech, le camping, la ruche, les incub publics et les espaces d’entreprise type Nord-Express), on peut se poser la question sur la pédagogie faite autour. Pourquoi 100.000 m² ? A quelles conditions ? Avec quels résultats ? N’importe quel entrepreneur cherchant à lever 15K€ aurait eu droit à des questions bien plus précises sur son business-plan et ses métriques…
Ensuite, encore une fois cette comparaison avec la « silicone Valley ». Si penser qu’en 3 ans avec 100.000 m² de surface on va rattraper le lieu est déjà en soi une escroquerie intellectuelle, se mettre en tête d’y arriver est le meilleur moyen de tout foirer. Je pense qu’on a intérêt à sortir de ce schéma de pensée, ce n’est pas en louchant de manière strabique sur ce territoire exceptionnel qu’on arrivera à quelque chose. D’ailleurs, je ne crois pas que la Silicon Valley soit devenue ce qu’elle est grâce à des m² et de l’argent municipaux, il n’y a aucune raison qu’on reproduise le modèle en appliquant cela.
Autre point gênant : dire que les entrepreneurs n’arrivent pas à démarrer car ils n’ont pas de lieu pour travailler. Certes, un lieu est important, mais c’est quand même loin de faire la différence. Prenons une bande de jeunes gens et mettons-les dans le plus beau local du monde : pas sûr qu’ils sortent la billion-dollar-company… Qu’ils souffrent dans leur piaule d’étudiants, travaillent dans des cafés, et créent un beau produit, peut-être qu’ils ont une chance… Si cela peut faciliter un brin leur éclosion, c’est loin d’être la raison principale. Surtout si l’on l’on connaît un peu les startups et qu’on sait très bien que le premier produit est mis au point par les associés, et que les équipes se créent seulement après.
Enfin, n’oublions pas l’agenda politique. Clairement la ville de Paris a intérêt à tenter d’ancrer de l’activité économique sur son territoire. Et donc recherche des indicateurs concrets pour mener à bien sa mission, afficher de chouettes résultats que l’électeur puisse aimer (Wooww, 100.000 m² de startups ?), etc. Sachant que les loyers (ou le prix à l’achat) des appartements puis les conditions locatives de bureaux ensuite sont quand même anti-startupers, l’argument tombe à plat rapidement.
Bref, voilà qui aura eu le mérite de me réveiller de ma léthargie post-dinde-champagne-bûche et de réveiller le blog en douceur Espérons que 2012 nous réserve des discours plus concrets !
Et bien entendu, je suis à la disposition de Jean-Louis Missika si une discussion sur le sujet l’intéresse !
26 décembre 2011 at 10:00
Etrange, Guilhem, il y a 2 zones pour poster les commentaires? Je tente ici mais c’est pas clair.
Je vois un beau parallèle, ça me fait penser à un riche texan qui décide de planter 100 000m2 de vigne dans son Texas natal car il veut refaire chez lui en 2 ans du Champagne Français…
Pour la Silicon Valley, la graine par quoi tout à commencer, il faut le rappeler, c’est l’armée Americaine. Comme le rappelle la bio de Jobs, dans sa jeunesse, il y avait pas une entreprise locale de la SV qui n’était pas sous contrat avec l’armée…
26 décembre 2011 at 10:27
Les 100 000 mètres carrés, c’était une promesse de la campagne électorale, donc maintenant il faut montrer d’une manière ou d’une autre que l’objectif est en voie d’être atteint, même si la métrique n’a pas beaucoup de sens en tant que telle, et si on ajoute des pommes et des oranges.
D’accord que pour le démarrage, les mètres carrés on s’en fout un peu. Les idées et les projets émergeront là où des gens intelligents, créatifs et motivés vivent, se rencontrent, se mélangent. C’est ça qu’il faut viser : que la ville soit attractive comme lieu de vie et de travail pour les chercheurs, les ingénieurs, les entrepreneurs, les artistes, les étudiants. (Le faible niveau des loyers est un avantage pour Berlin, de ce point de vue…)
C’est tout à fait utile d’avoir des incubateurs et pépinières pour accueillir les boîtes une fois le projet lancé, et je suis complètement partisan d’ancrer les startups dans la ville (à la manière de New York et San Francisco), plutôt que de fantasmer (là encore) une Silicon Valley dans la campagne de Saclay.
27 décembre 2011 at 9:52
@Ronan : très d’accord avec toi, c’est top d’ancrer dans la ville les startups. Mais à New-York comme ailleurs (Berlin, Singapour, Cambridge, même Barcelone), le salut n’est pas venu de m². Ce n’est jamais au départ une question d’infrastructure, mais d’hommes et de facilité de création, et de densité de startups sur un même territoire.
26 décembre 2011 at 11:58
Bonjour Guilhem,
Avant toutes choses, Joyeux Noël !
Ensuite, et oui, c’est le drame à la française!
L’habitude de se reposer sur des chiffres et des statistiques qui n’ont pas lieu d’être à part de mettre un voile et de la poudre aux yeux sur la réalité.
Il en faudra beaucoup plus que ces 100.000 m² pour arriver au même niveau que la Silicon Valley.
La mentalité entière est a changé et c’est pas demain la veille que cela va arriver.
En espérant 2012 pour un miracle. 😉
Bonne fete de fin d’année…
Cordialement,
26 décembre 2011 at 12:09
C’est l’exception culturelle française;=) de notre coté en Alsace on pense plutôt que la silicone valley est à Mulhouse!!! ben ouais Activis est née ici;=) à Strasbourg on lorgne sur Harvard avec notre « renommée » « Bio valley » et nos prix Nobel. le torse bombé ici on connait aussi. Pour les autres qui ne rentrent pas ce moule c’est verdun !! moins glamour mais ça forge le caractère et ça rend plus fort. Bonnes fêtes à tous. Franck
26 décembre 2011 at 14:59
Bonjour Guilhem,
Ce n’est pas dans mon habitude de commenter ici mais ce bon coup de gueule ne laisse pas indifférent.
– Concernant l’initiative de la ville de Paris :
C’est effectivement ni nécessaire ni suffisant pour le développement de l’écosystème startup « façon Silicon Valley ». D’ailleurs on oublie vite de revenir à la source du succès d’un tel pôle technologique dont toutes les réussites ont vu historiquement leur naissance au sein des écoles et universités et non pas dans des grands bureaux ou pépinières. J’avais déjà développé le sujet plus en détail dans cet article si ça intéresse quelqu’un.
Ceci dit, je pense qu’il faut tout de même se convaincre que reproduire la silicon valley ailleurs n’a absolument aucun sens. Nous avons en France un environnement sensiblement différent avec des paramètres (économiques, géographiques, sociaux) qui nous sont propres et dont il faut savoir tirer profit d’une autre manière sans se calquer sur un modèle existant mais plutôt en identifiant clairement nos forces et nos faiblesses dans une logique compétitive optimale.
Et je rajouterai enfin, que s’il devait y avoir une « silicon valley » en France elle ne serait certainement pas à Paris et aurait bien plus de chance d’éclore du côté du Grand Ouest…
– Concernant l’article sur TechCrunch France :
J’ai envie de dire, sur un media d’une audience comme celle de TCFR ça ne fait pas de mal d’avoir une telle annonce relayée, même en format CP, ne serait-ce que pour faire réagir, comme sur ce billet.
Après tout, les commentaires sont ouverts justement pour en débattre et les rédacteurs (qui tiennent le site bénévolement rappelons-le) n’ont pas forcément le temps de décortiquer chaque news. Cela permet aussi à des personnes, comme toi Guilhem, de rebondir dessus via leurs tribunes, en apportant une vision et une analyse plus détaillée.
Et puis je suis certaine que chez TCFR, ils accueilleraient tes articles en guest posts avec plaisir sur de telles thématiques 😉
27 décembre 2011 at 10:02
@Selma :
Bienvenue sur mon blog, j’espère que tu continueras à commenter sur mes posts moins polémiques 😉
Pour éclairer ton propos, la différence est bien qu’en France, les réussites viennent des Grandes Ecoles (de commerce) et ce trop souvent. On ne voit pas assez de collaborations entre labos d’universités et secteur public (les fameux biz guys, qui préfèrent monter des boites de ecommerce ou de marketing web au sens large – ce qui d’ailleurs est aussi bon pour l’écosystème, mais pas suffisant).
Je crois aussi qu’il faut sortir du mythe de la Silicon Valley, on ne parviendra JAMAIS en France à l’égaler. Et courir après ce mirage, c’est tout simplement mal utiliser l’argent, pour des danseuses politiques et de la comm’ au gros sel. D’ailleurs, Singapour, Israël, le Brésil, … sont déjà loin devant pour se positionner en challengers. On a en revanche une vraie particularité à développer et à cultiver, sur un autre type de boites, ambitieuses, concquérantes à l’Europe, collées à nos marchés, en relevant la problématique du morcellement des états, des différences légales et fiscales et administratives, les barrières des langues et encore monnaies différentes…
Enfin, je persiste dans mon opinion : un tel article n’aurait pas dû se retrouver sur TC, en tout cas pas traité de la sorte. Même si vous êtes bénévoles et très occupés, vous avez une responsabilité presque journalistique. Vous touchez un public large et pas forcément toujours averti, et de dire que Paris se rapproche de la Silicon Valley pour 2014 en retraitant des statistiques d’espaces déjà existants, avec un montage financier sur de l’argent public (on verse une subvention aux projets qui doivent en reverser par convention environ 50% à leur incubateur), ce n’est pas vraiment la bonne manière de faire.
26 décembre 2011 at 16:21
Rigolons bien tous !
Il n’y aura jamais d’explosion type SiliconValley en France parce que la SV est tout un ensemble, une facon de vivre, penser..
Sans vouloir dire qu’il n’y a pas de grand penseur et entrepreneur par ici mais en s’appuyant sur les mentalitees que l’on retrouve en France.
Combien d’entre nous ont etes a l’etranger pour un job et ont ete emerveille par la facilite de travail et le bien etre psychologique i.e Peace of Mind!
Tout est compliquer en France meme juste pour pisser un coup…
Peace !
26 décembre 2011 at 20:47
Moi ce qui m’énerve encore plus c’est tous ces financements publics. Ce sont des bonbons empoisonnés. Les stratus qui tentent d’en profiter perdent un temps fou à constituer des dossiers et obtenir ces financements au lieu de bosser sur le produit et trouver des clients. L’état doit rendre plus attractif l’investissement privé au lieu de sortir plein d’initiatives pour les entrepreneurs, qui partent d’un bon sentiment mais sont en fait catastrophiquement mauvaises pour l’écosystème.
26 décembre 2011 at 20:49
Lire startups et non stratus dans mon commentaire. Correcteur automatique de l’ipad…
29 décembre 2011 at 13:29
On a tendance à réfléchir à l’envers en France. On pense qu’en créant un endroit exceptionnel, les startups connaitront un succès foudroyant.
En prenant conscience que c’est le succès des startups qui ont façonné la Silicon Valley, on commencerait à proposer des solutions plus efficaces au lieu de dilapider des fonds dans du rêve.
Guy Kawasaki l’explique très bien dans son livre « La réalité de l’entrepreneuriat ».
2 janvier 2012 at 17:45
Tiens c'est amusant… En parcourant les différents articles de mon reader RSS, je tombe sur ton article Guilhem, puis sur cet autre article :
http://www.entreprenantes.com/magazine/225-paris-ou-nantes-qui-sera-la-silicon-valley-francaise.html
héhé, #bullshit n'est pas réservé qu'à Paris
10 janvier 2012 at 22:19
Voila enfin ce que devrait etre le climat en France, je m’explique:
Vous avez sans doute vu le lancement de l’offre Free Mobile.
Ca c’est du show business !!!
Voici l’attitude a adopter dans notre paysage, des offres agressives, des presentations type SV nous y arrivons et depuis l’arrivee de Free sur le marche de l’internet avec ses offres 512k ADSL qui a tout fait basculer et changea la face de notre pays.
Il y a des gens comme ca qui font avancer les choses et qui presentent a la populace qqchose de nouveau et qui fait plaisir a voir. C’EST ce qui devrait se passer a chaque fois !
Qui innove de nos jours ?
Qui donne espoir et confiance dans notre pays ?
Qui est sincere ?
Hormis la partie business qui n’est jamais mis en avant chez Free mais bel et bien l’innovation technologique et de consommation grand publique, Qui fait de meme ?
PERSONNE !
Lorsqu’on nous balance un produit c’est pour l’acheter betement et le changer ensuite…
Mais lorsque on lance qqchose qui fait basculer tout un pays, qui le fait ?
15 janvier 2012 at 16:04
Bonjour Guilhem,
Il est vrai qu’on ne peux comparer notre modèle français au modèle US qui a déjà une bonne longueur d’avance.
Là où j’ai du mal à comprendre c’est pourquoi nos institutions et la plupart de nos entrepreneurs copient leurs idées de Start-up à l’étranger (notamment aux USA)comme si nous manquions de créativité en France.
Enfin penses-tu, Guilhem, que le succès des entreprises américaines pourraient également s’expliquer par la taille conséquente de leur marché ? Il y a 3l0 millions d’habitants aux USA contre 65 millions en France donc pour 5% de part de marché ici et là, le chiffre d’affaires variera fortement en fonction de 2 pays. Je te demande juste ton avis sur cette vision.
Merci