Voilà maintenant 8 ans que j’accompagne régulièrement des entrepreneurs dans leur création d’entreprise, avec un focus assez fort sur les startups web (mais pas que). L’occasion de prendre un peu de recul sur cette pratique et partager avec vous quelques idées et réflexions sur la pratique. Car c’est un point de passage vital pour les entrepreneurs à mon sens, mais aussi une lourde responsabilité, qu’il ne faut pas prendre à la légère, côté « mentor ».
Cet article n’est donc pas « définitif », ou exhaustif, disons qu’il reflète ma pensée à la date de parution, et que c’est une construction qui prend du temps (j’espère être meilleur aujourd’hui qu’avant, et que cela va encore changer au cours des prochaines années) ! C’est parti donc pour ce pêle-mêle auquel j’espère que vous contribuerez, que vous ayez eu des expériences de mentor ou de mentoré(e), les commentaires sont là pour ça 😉
Les deux apprennent beaucoup
J’ai presque plus appris sur la création d’entreprise (et toutes ses déclinaisons) lorsque je suis passé de l’autre côté de la barrière, du « mauvais » côté à mes yeux. Et même finalement plus que lorsque que j’ai été mentoré (mais je suis un horrible mentoré de toute manière). C’est en réalité une super manière de prendre du recul sur sa propre manière de fonctionner et c’est bien plus évident de voir ce qui ne va pas dans le projet d’un autre que dans le sien propre. Combien de fois me suis-je dit « pas mal ce que tu viens de dire, tu devrais te l’appliquer à toi-même » ;).
Dans tous les cas, il est important que le mentor soit dans cette approche assez humble et soit d’ailleurs en recherche de cela…
Ce n’est pas un rôle de « consultant qui sait tout et dit quoi faire »
Corollaire direct du point précédent : attention à ne pas tomber dans la case « vieux con » qui ressort ses poncifs et sa « méthodo », la même, systématiquement, en n’y voyant que l’unique façon de réussir. Lorsque je recherche un mentor, je n’achète pas un bouquin de management qui me déroule une checklist m’assurant la pérennité et la croissance de ma boîte. Je cherche d’abord quelqu’un qui écoute, qui fait s’exprimer l’entrepreneur, cherche à saisir les subtilités de la situation personnelle et professionnelle du porteur de projet, des notions de timing, de up & down…
Le mentor n’est définitivement pas un consultant (qui plus est qui bosserait gratuitement). C’est avant tout un miroir, dans une approche maïeutique (au sens de faire accoucher les craintes, freins, questionnements de l’entrepreneur). Il pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Il sait aussi amener l’entrepreneur à sentir lui-même les contradictions dans ce qu’il dit, ou en faire découler les priorités ou actions nécessaires.
C’est aussi quelqu’un qui partage ses expériences, sans forcément dire « c’est bien / c’est mal », la valeur du partage « depuis les coulisses / sans vernis de communication » a une grande portée de compréhension et de pédagogie. Cela implique donc pour le mentoré d’être en confiance, mais aussi au mentor de se mettre à niveau en posant les coucougnettes sur la table et en livrant ses expériences, quand bien même si elles ne sont pas très glorieuses.
C’est d’ailleurs là l’un des signes pour moi d’un bon mentor, de savoir dire « ne faites pas cela, j’ai testé, ça n’a pas marché pour telle et telle raison », beaucoup plus souvent en tout cas en proportion que d’affirmer « à votre place, je ferais cela ». Car justement, il n’y est pas à votre place… et c’est bien vous qui prenez les décisions et les assumerez.
Apprendre à ne pas projeter sa propre personnalité à tout bout de champ
Il m’est arrivé parfois d’être très frustré de la relation avec certain(e)s des entrepreneurs que j’ai pu suivre quelques temps. Dans mes premiers temps comme mentor en effet j’avais tendance à trop vouloir que chaque entrepreneur se rapproche de ma manière de faire. Non seulement c’est une connerie car on ne change pas la personnalité de quelqu’un, mais en plus c’est mauvais pour le projet : il existe 1000 personnalités différentes d’entrepreneurs, et bien malin qui pourra dire que dans tel secteur, à tel moment, c’est telle personnalité qui donne le plus de chances de réussir.
Le côté « tourner sa langue 7 fois avant de parler » est donc primordial. On ne vous demande pas de piloter quelqu’un à monter une boite pour vous, à votre manière. Mais de jouer le rôle du miroir le moins déformant possible pour que l’entrepreneur ait, au moins une fois de temps en temps, un feedback le plus objectif possible sur ce qu’il est en train de faire dans son projet.
Dire les choses
Pour celles et ceux qui me lisent depuis quelques années, vous savez combien j’accorde d’importance au mode « no bullshit ». C’est le meilleur cadeau à faire à un entrepreneur : lui dire la vérité, quelle qu’elle soit et surtout si elle ne fait pas vraiment plaisir.
Dire la vérité, c’est aussi féliciter quand c’est bien. Les entrepreneurs sont d’éternels insatisfaits, ils ont du mal à célébrer les petites victoires… hors elles sont primordiales pour survivre à l’effet rollercoaster de la création d’entreprise. Le mentor doit aussi être là pour cela… Une baffe, un bisou, et on avance sans chercher à arrondir les angles.
Ce n’est pas « juste » une relation informelle : la préparation joue pour 50% de la réussite
Des deux côtés de la relation il est important de ne pas trop prendre le truc à la légère : ce n’est en aucun cas « allez, on se voit semaine prochaine pour papoter du sujet ». Il y a un ordre du jour, une préparation des chiffres et des actions accomplies sur la période écoulée, une liste des points sur lesquels il faut avoir une discussion… avec si possible des éléments transmis en avance pour préparer et entrer dans le vif du sujet.
Même si avec le temps la relation peut devenir plus personnelle, une certaine distance, au moins le temps de l’exercice du board ou de la session de mentoring, est nécessaire. Et comme dans tou dans votre boîte, vous pouvez avoir un petit processus : envoie des chiffres et du reporting à telle date, ordre du jour X jours avant le rendez-vous, passage en revue de points systématiques, rituel des questions, rédaction d’un compte-rendu, liste de contacts à activer…
Une déontologie à avoir pour préserver la confiance
L’entrepreneur se livre beaucoup à son mentor, c’est une des bases pour que « ça marche ». Cela veut donc dire qu’il donne sa confiance, le mentor doit donc la respecter comme l’un des biens les plus précieux, et savoir en être digne. Il va sans dire qu’aucune information ne doit filtrer, et que le mentor s’engage à n’avoir pas d’autres startup mentorée qui puisse le mettre en situation de conflit d’intérêt. Un « full disclosure » est important si jamais certaines activités pouvaient être « borderline », et ce serait alors à l’entrepreneur de juger bon ou pas de mettre fin au mentoring.
La déontologie implique aussi de prendre, dans l’ordre, d’abord soin de l’entrepreneur, puis de l’entreprise. Certaines décisions peuvent être parois contradictoires, et c’est bien l’humain qui doit être privilégié, l’entrepreneur en montant son entreprise joue un jeu un peu dangereux et qui peut faire très mal, et le rôle du mentor, a priori plus expérimenté, est de savoir mettre des alertes et notamment accompagner la réflexion sur le fait, ou non, de savoir tirer la prise au bon moment… sans prendre la décision lui-même.
Il y a enfin une certaine obligation « morale » de service après-vente, en cas d’échec de la startup, au moins le temps de s’assurer que tout va bien et en apportant une aider pour que l’entrepreneur puisse se retourner et gérer du mieux possible (et le plus proprement) cette phase délicate. Pas la peine de s’enorgueillir d’être « mentor » quand tout va bien pour disparaître quand d’un coup c’est moins sexy. Certains le font sans vergogne et je trouve ça très petit.
Savoir choisir son mentor & savoir choisir les startups à accompagner
Être mentor n’est pas une fin en soi, et pas la peine de jouer les cumulards. Cela vaut aussi de l’autre côté : pas la peine d’additionner le nombre de mentors « pour faire une belle brochette de noms connus ». Je dirais qu’on peut mentorer 4 à 5 startups en même temps maximum. Et que plus de 2-3 mentors sera un excès de bruit pour les startups.
Cela étant dit, il sera donc intéressant de se poser la question, en tant que mentor, de quelles seraient les boîtes que l’on aimerait accompagner, au-delà de la rencontre avec l’entrepreneur qui reste de toute manière primordiale. C’est au même titre que dans une association (au sens actionnarial) l’aspect humain qui régit 99% des choses en mentoring de toute manière… mais aussi de savoir si on va pouvoir vraiment apporter quelque chose à l’équipe en place pour lui donner du recul, l’aider à prendre de bonnes décisions… Il faut parfois apprendre à passer son tour si cela ne fait pas 100% sens. Dire non est aussi une forme de respect de l’entrepreneur, et bien argumenté déjà une belle forme de mentoring et d’honnêteté.
De la banalisation du rôle de mentor…
Tout le monde s’est mis à parler de mentors sur les quelques dernières années : il est de presque toutes les offres d’incubateurs ou d’accélérateurs, la plupart du temps dans une sorte de chasse à la plus grande liste possible de mentors. Plus de relation long-terme, le mentor est un kleenex qui ne sert qu’une fois (ce qui, en passant, peut avoir un intérêt mais ne peut plus vraiment être appelé « mentorat » qui pour moi de fait s’inscrit comme un fil rouge dans la vie et la croissance d’une entreprise, on n’est vraiment un bon mentor qu’après 3-4 rencontres avec le ou les entrepreneurs, le temps que la confiance s’installe). Et d’ailleurs il (le mentor) est dans ce cadre qu’un produit mis en tête de gondole, ayant pour objectif de transmettre à l’accélérateur une partie de sa visibilité (si ce n’est légitimité), en mode « endorsement ». Je pense que c’est un rôle au contraire à raréfier, à rendre plus qualitatif, et qui ne demande pas forcément plus de publicité pour être attrayant aux yeux de celui qui s’y plie…
*
Je vous conseille également de lire cet excellent papier de Fred Destin qui, s’il date un peu (l’article, pas l’auteur) est toujours autant d’actu et bien tourné.
Et, je me répète, n’hésitez pas à partager vos anecdotes, conseils, retours d’expériences et propres réflexions sur cette problématique dans les commentaires ci-dessous ! Ou juste pour réagir à ce que je dis ci-dessus !
22 avril 2015 at 19:12
Article très intéressant, comme d’habitude sur ce blog.
Merci Guilhem!
23 avril 2015 at 19:55
Tu devrais écrire les 10 commandements du mentor. C’est quand même subtil, je me surprends souvent en flagrant delit de manipulation involontaire, difficile de neutraliser la passion, d’envoyer le reflet qui ressemble à ce que l’on ferait à sa place (c’edt presque physiologique, aussi puissant que les tetards de watchfrog). Là où c’est plus facile, c’est sur le tempo et la focalisation le mentor peut utiliser sa prise de recul pour le mentoré.
bien bel article en tout cas.
10 mai 2015 at 22:27
Bonsoir,
Très instructif cet article.
Cependant comment se décide la relation mentor/mentoré? Et comment se déroule la rencontre entre les 2?
Je me pose ces questions parce que moi même j’aimerais avoir un mentor, autodidacte, passionné des startups et de l’entrepreneuriat ca serait un énorme tremplin pour mes connaissances et compétences. J’ai plusieurs idees de strartup en tête et je travaille sur une en ce moment.
Au plaisir de vous guilhem.
Fred
3 juillet 2015 at 10:48
Bonjour,
Merci pour cet article, pour répondre à Fred, je pense que les façons de se rencontrer et de travailler ensemble sont aussi multiple que les mentors et les mentorés ; néanmoins il existe maintenant pas mal de site internet pour faciliter les rencontres entre les deux parties.
5 septembre 2015 at 13:17
« Une baffe, un bisou, et on avance sans chercher à arrondir les angles. »
… J’adore et je veux bien signer tout de suite, c’est où ? 😉