Quand faut-il lever des fonds ?

Voilà une question qu’un de mes incubés vient de me poser et à laquelle j’ai été bien embêté de répondre. Non pas que je n’ai pas d’éléments de réponse, bien au contraire, mais parce que j’en ai TROP. Et que forcément, d’un projet à l’autre, cela varie beaucoup…

Pas besoin de faire 12 ans de maths pour savoir quand lever des fonds !

Bref, comme ça m’a un peu titillé, voilà (non, pas une réponse franche, nette et massive, désolé) quelques éléments à prendre en compte, sous forme de questions à se poser à soi-même :

  • Ai-je besoin de lever, en réalité ? C’est sûrement la question la plus intelligente à se poser avant même d’entamer une phase de levée de fonds. Vu que cela va prendre bien 3-4 mois, au mieux, et ce quasiment quel que soit le montant à lever, ça mérite de prendre un peu de temps pour bien y réfléchir. S’ajoute à cela l’impatience légendaire des entrepreneurs, qui fait souvent croire qu’on réussit en entrepreneuriat (a fortiori web) en quelques mois, alors (et j’y reviendrai encore et encore), le succès d’une startup se construit sur 3 à 5 ans minimum. Et que c’est toujours mieux de se développer grâce à ses clients…

 

  • Est-ce que je me sens prêt à lever ? Une levée de fonds, ça commence assez tôt, et il faut se préparer, un peu comme pour partir en guerre ou accomplir un exploit sportif. Dans certaines civilisations, les jeunes doivent suivre un parcours initiatique avant d’être accepté parmi les adultes… Lever des fonds, c’est un peu pareil, et il faut être bien armé pour l’affronter : avoir parlé avec des gens qui ont levé (ou pas levé, justement), assisté à quelques sessions de pitchs, avoir travaillé et retravaillé et reretravaillé et – vous avez compris – au point de maîtriser parfaitement son marché

 

  • Quand n’aurai-je plus d’argent ? Une bonne manière de faire, dans le cas où le poste client ne peut pas se développer suffisamment vite, est de calculer son « burn rate ». Il s’agit de faire l’équation, très simple, suivante : (Cash en banque / Dépenses moyennes par mois). Cela vous donnera en gros une « durée de vie », en nombre de mois avant de rentrer de plein fouet dans le mur. Si le nombre que vous obtenez est inférieur à 3 ou 4, c’est déjà un peu mal barré, et il va falloir soit couper drastiquement dans les dépenses, soit trouver un moyen plus rapide qu’une levée de fonds classique pour attendre un peu et rallonger le « runway ». Si vous êtes entre 8 et 5, c’est le moment de foncer ! Au-delà de 7 ou 8, baissez la tête, faite votre max, et surveillez votre tréso tout en continuant à bootstrapper !.

 

  • Combien ai-je besoin pour passer le prochain palier ? En général, on lève des fonds pour passer des étapes importantes (lire par ailleurs), soit finir son produit, soit embaucher, soit accélérer et reproduire un modèle, etc. Si le palier est trop gros pour un financement « gratuit » en capital, il faut lever. Pour savoir quand, il faut prouver qu’on a su maîtriser le palier d’avant, et faire rêver sur les paliers suivants…

 

  • Devrais-je communiquer sur une levée ? Certains secteurs peuvent nécessiter, pour tout un tas de raisons, de lever de l’argent : crédibilité, mise de départ, coûts de lancement fixes, … Ne pas avoir la mise minimale vous disqualifie automatiquement, et donc vous n’avez pas d’autre choix…

 

  • Avec combien est-ce que j’étouffe mes concurrents ? Dans certains secteurs (web notamment), on voit fleurir quelques dizaines de projets similaires, à peut près en même temps. Seuls certains survivront, souvent un des premiers, un qui a levé beaucoup, et un petit malin. Dans tous les cas, il y a quand même une prime à celui qui lève beaucoup et qui « enterre » un peu les suivants, coupant l’envie aux investisseurs de suivre la mise sans de sérieux gages. Plus vous levez vite et beaucoup, plus vous faites peur et plus vous pouvez aussi « hausser la barre » pour vos concurrents qui lèveront dans de moins bonnes conditions, ou plus tard lorsque le train sera déjà passé…

 

  • Avec combien mes concurrents ne pourront pas m’étouffer ? On est là dans l’approche un peu défensive, où des gros sont déjà en place, et où vous voulez vous acheter un certain temps de tranquillité pour construire de vraies forces, à-mêmes de vous rendre crédible sur le secteur en question. En général, vous sentez bien quand ce cas se fait sentir…

 

  • Est-ce que le marché est prêt à acheter une levée, maintenant, dans ces conditions ? Voilà une dernière chose à prendre en compte : sur votre secteur, avec ce que vous avez déjà fait, est-ce que vous pensez que vous avez une chance de lever ? Ce n’est en général pas facile à voir par vous-même, mais deux cas de figure : soit vous avez besoin et la fenêtre n’est pas / plus ouverte (et là il va falloir ramer, pivoter, accélérer, crier plus fort), soit vous n’avez pas besoin et la fenêtre est ouverte. Il faut lever MAINTENANT (après vous être posé la première question, quand même…). Plus tard, ce sera peut-être trop tard…

Et vous, comment vous avez su que c’était maintenant qu’il fallait lever ? Go go go pour vos commentaires !

 

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  1. Super article !
    Une des beauté du web c’est que pour la plupart des cas (site sans réel techno) tout peu démarrer de zéro ou quasi (un blog 12$). Une offre qui répond à un vrai besoin peu démarrer de rien ou quasi rien amha :) ! C’est pareil au poker les meilleurs joueurs sont ceux qui sont parti de 0 et qui ont grimper les échelons un a un sans passer par la case « prête moi des millions j’en ferais des milliards… » Bon après c’est sur qu’une levée de fond ca peut aider à accélérer le tout si le capitaine du navire à de l’expérience pour investir de manière profitable.

  2. Beaucoup de bonnes choses dans ce post. Bravo et merci Guilhem!
    Quelques idées et questions complémentaires en vrac:
    – ai-je besoin d’un leveur de fonds? beaucoup de startups se posent cette question. Points à checker pour prendre cette décision (au risque de me faire quelques ennemis ;): ne pas s’alourdir des frais d’un leveur si vous n’en n’avez pas besoin! un leveur c’est très bien si vous n’avez pas de network, si vous avez calibré un besoin conséquent en capital, pour vous aider à structurer et faire votre documentation de levée de fonds mais n’oubliez pas que le meilleur « vendeur » de votre société c’est vous même!
    Attention: point capital, un leveur est un accompagnateur dans votre processus de levée de fonds donc avoir un bon fit avec votre interlocuteur est un pré requis.
    – ne pas lever des fonds quand vous êtes à court de cash. une levée de fonds ne veut pas forcément dire que vous n’avez plus d’argent en caisse. La grande différence de comportement d’investissement entre les VCs US versus EU est la suivante: les VCs US refinancent leurs sociétés pour accélérer le développement de celles ci, les VCs européens refinancent leurs sociétés lorsqu’elles n’ont plus de cash. Nos avons encore des choses à apprendre 😉
    – enfin, il faut savoir que lever des fonds auprès d’investisseurs institutionnels veut dire aussi « lourdeurs opérationnels », il ne faut pas se le cacher. Lorsque un VC entre au capital d’une société, sans être intrusif, celui ci peut être très actif. C’est un vrai plus dans la vie d’une startup mais il faut le vouloir. c’est un vrai mariage. et pareil que pour un leveur de fonds, il faut un bon fit!

  3. @Jerusalmy : Merci Sam de ce bon commentaire ! Qui me donne d’ailleurs l’idée d’un post sur les leveurs… où j’ai plein de copains à me faire aussi :)

  4. @Guilhem @Jerusalmy : à quand un blog samjerusamly.com ?

  5. Post très sympa!
    Par contre niveau timing je serais plus radical. 3 mois c’est du suicide (i.e. manque de crédibilité ou au mieux valo au ras des pâquerettes). Entre 5 et 8 mois je trouve que c’est encore très TRES juste: il faut parfois bien 2 mois entre l’envoi du premier executive summary, la première réunion, puis le process interne de l’investisseur qui décidera de continuer l’analyse. Si à ce moment là il ne reste plus que 3 mois, retour à la case suicide…

  6. Bonjour Guilhem,
    Je compléterai ton billet par 2 remarques tirées de mon expérience :
    1 – Avant de penser à lever des fonds, travaillez votre tréso = mettez-vous dans une situation de fonds de roulement négatif en négociant à donf les délais de règlement fournisseurs et clients.
    2 – Une levée de fonds = une perte d’indépendance et de pouvoir.
    Cordialement.
    Business Angel France

  7. Bravo et merci pour ce billet.
    Kweeper,la startup que j’ai crée en 2009 sur fonds propres est aujourd’hui à la croisée des chemins. Notre offre BtoB se met en place avec de belles références et nous devons désormais relever le défi humain pour adresser correctement notre marché.

    Mon seule problème: je n’ai jamais su quoi raconter à un investisseur.

  8. Pour compléter le commentaire de Business Angel France et apporterma pierre à cet édifice, voici d’autres questions à se poser :

    1 – Suis-je prêt à accepter de partager la paternité de ma création, et de fait, à reconnaître que mon choix d’une vie monoparentale et isolée est toujours plus (trop ?) compliqué et risqué pour le développement de mon rejeton qu’une structure familiale riche d’exemples et d’interactions (cf. théorie de l’apprentissage social) ?

    2 – Suis-je prêt à collaborer avec mes investisseurs (et donc à faire preuve de transparence, d’ouverture d’esprit et à modérer mes tendances paranoïaques) afin d’en tirer le meilleur parti, de m’en faire de véritables alliés ?

    3 – Suis-je prêt (mentalement) à partager la dinde de Noël avec ma ‘famille’, autrement dit à accepter :
    ~ l’idée que l’argent à un coût (variable selon son origine) ;
    ~ de rétribuer mes fournisseurs de ‘simple’ argent, et dans quelle mesure ?

    4 – Ai-je les pieds sur terre ? Disposé-je des arguments concrets et/ou crédibles me permettant de m’engager (à l’égard de mes actionnaires) sur des objectifs/résultats tout en conservant la conscience tranquille ?

    Je m’arrête là, mais les questions importantes sont nombreuses…

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