Ah ! Voilà un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et qui pourtant continue d’animer le petit milieu des entrepreneurs… Combien vaut ma boîte ? Combien dois-je la valoriser au moment de lever de l’argent ? Est-ce que la méthode des DCF fonctionne ? Est-ce que j’ai vraiment une marge de manœuvre pour négocier ? Est-ce que je vais finir par être riche ?
La « valo » est au centre des préoccupations de l’entrepreneur puisque d’elle découle le « prix » qu’un investisseur ou un nouvel associé devrait payer pour ses parts, et qu’elle constitue aussi, il faut bien l’avouer, une sorte de premier baromètre de réussite de l’entrepreneur.
Une réflexion sur le sujet est importante, et même si dans ce domaine les questions sont légitimes, on se plante la plupart du temps sur la manière d’y répondre, et au final, l’entrepreneur passe bien trop de temps à chercher à rationaliser son approche en la matière. Finalement, comme c’est bien souvent le cas sur ce blog, je vais tâcher de vous donner un avis « no bullshit » sur comment, à mon sens, l’entrepreneur doit réfléchir, ainsi que sur ma perception des choses pour avoir accompagné ces trois dernières années une trentaine de levées de fonds…
Il n’y a pas de méthode de valorisation pour une startup. Ça peut paraître un peu cash comme premier point d’un article justement sur ce sujet, mais tuons tout de suite ce fantasme malsain. Je suis toujours assez bluffé lorsque l’on tente, sur de toutes jeunes boites où rien n’est encore fait (ou si peu), d’appliquer les méthodes type DCF (discounted cash flow). L’exercice en soi n’a d’intérêt, ici, que pour montrer que vous savez utiliser une calculette, guère plus.
Il y a pourtant quelques éléments à prendre en compte… La qualité de l’équipe, le relationnel avec les investisseurs, l’actualité et la taille du marché, le début de traction que peut avoir l’entreprise, la capacité d’exécution des fondateurs, un premier CA, une techno maîtrisée, une vraie connaissance intrinsèque du marché… En aucun cas des choses mathématiques que l’on pourrait mettre dans des cases sur Excel pour parvenir à un compte rond bien satisfaisant… C’est donc la plupart du temps sur des éléments subjectifs (que l’on cherche à rationaliser pour se rassurer) que la décision va être prise.
Qu’est-ce que le marché est prêt à accepter ? Un autre point impacte beaucoup la valorisation des entreprises : la « mode ». Évidemment, il s’agit ici d’une mode un peu particulière, puisque l’on parle de ce qui se passe dans le petit monde de l’investissement. Et chaque catégorie d’acteurs connaît ses propres trends :
- la love money : c’est ici un peu n’importe quoi, les « investisseurs » mettant de l’argent en général plutôt pour les beaux yeux de l’entrepreneur. On a donc des valorisations très basses (mon frère a 25% de la société pour 5000 euros) à des trucs complètement ahurissant (mon oncle a 1% de la société pour 10K€, sur base d’un powerpoint). Difficile de tirer des enseignements généraux…
- les Business-Angels : ils mettent en général entre 150K€ et 300K€ (montant jusqu’à 5-600K€ même aujourd’hui) pour entre 20 et 30% de l’entreprise. Si vous faites bien le calcul, cela donne des valorisations moyennes entre 450K€ et 1,5M€ post-money, pour un premier tour de table. Entre les deux limites, libre cours au négos…
- les fonds d’amorçage investissent eux plutôt de 1 à 3 millions d’euros (on trouve des plus petits montants, à partir de 0,5M€ ou plus gros, mais disons que la majorité est encore entre 1 et 3M€), là encore pour entre 20 et 30%. Nous arrivons donc à des valorisations, post-money et en moyenne, de 4 à 10M€. Et ce aussi et surtout en fonction de la taille qu’ils pensent que votre business peut atteindre, et de combien il vaudra au moment de sa revente, dans 5 à 8 ans. Si les multiples ne concordent pas, vous avez du souci à vous faire. Votre target, sauf exception, doit se situer dans cette zone lorsque vous parlez à ce type d’acteurs.
Pour chacune de ces fourchettes, évidemment, des facteurs positifs ou négatifs entrent en ligne de compte : génération de CA, équipe, traction, … c’est toujours la même rengaine et une fois de plus, pas de formule mathématique !
C’est une question de timing. A quelques mois d’intervalle, votre projet n’a pas du tout la même valeur, que ce soit en raison de l’état des levées de fonds en général, de l’approche du mois de juin pour les fonds TEPA, du type de projet que vous avez (le couponing il y a 1 an, le gaming il y a quelques mois, les applis facebook ou iPhone/iPad actuellement – il y a de grosses vagues / bulles), de l’envie des investisseurs de faire un deal (ou au contraire de lever le pied), …
Un autre élément de timing est la dynamique dans laquelle se trouve votre projet : quelques mois pleins de bonnes nouvelles (produit en alpha, premiers users, articles de presse, passage en beta, sortie de nouvelles fonctionnalités, premier chiffre d’affaires, belles recrues, …) et vous êtes « hot » : il y a de grandes chances que la valorisation de votre boîte soit bien meilleure que si vous luttez depuis plusieurs mois à vous serrer la ceinture, à être poussif sur les développement, à vous faire passer devant par des concurrents plus agressifs en presse, …
Keep playing : de combien avez-vous besoin pour continuer à jouer ? Certains entrepreneurs se disent : ma boîte vaut 1M€, je ne lève pas en-dessous. Certes, c’est bien d’avoir des convictions et de ne pas « donner » quelque chose qui a de la valeur. Mais le plus important n’est pas tant dans la valorisation de l’entreprise, mais dans le rythme auquel vous pourrez vous développer : mieux vaut avoir un peu moins, mais plus tôt, pour pouvoir continuellement accélérer et bâtir son projet.
Plus que la valorisation à l’instant T, ce sont les clauses du pacte d’associés qui sont importantes. Voilà un point que les entrepreneurs oublient fréquemment : la valorisation donnée au moment de la signature d’un chèque n’est pas toujours celle qui sera « pratiquée » au final. Il existe tout un tas de façons de revaluer ou de diluer les différentes parties autour de la table. Par exemple en forçant l’entrepreneur à « donner » une partie de ses parts s’il ne tient pas les promesses qu’il a pu faire lors de la signature des pactes et de la levée. L’inverse marche aussi, d’ailleurs. Au-delà de la valorisation, c’est donc bien l’ensemble des conditions qu’il faut regarder.
Finalement, c’est assez simple... L’entrepreneur doit surtout se poser la question suivante : pour franchir la prochaine marche de l’escalier, de combien ai-je besoin, et quelle part de contrôle suis-je prêt à abandonner (contrôle de l’entreprise et capital n’étant d’ailleurs pas toujours liés) ? Le reste, c’est surtout la discussion (plus que la négociation) entre investisseur et entrepreneur qui le fixera…
Alors, combien vaut ma boîte ? J’ai bien conscience que cet article ne vous apporte pas la solution que vous espériez. Mais cette réponse n’existe pas, si ce n’est dans votre lucide regard sur le marché, et sur votre capacité de persuasion et de vente du projet (bien aidée en cela par votre capacité d’exécution, of course !). Cherchez à être dans des montants de valo acceptables par le marché, partez un peu plus haut dans vos discussions, soyez réactifs et souples pour savoir repérer les investisseurs qui vous feront grandir et sauront vous accompagner dans les prochaines étapes, et concentrez-vous sur votre business à partir du moment où vous avez les moyens nécessaires pour accomplir votre rêve ! de toute manière, l’important est de continuer à jouer, si vous gagnez vous serez de toute manière riche !
Et vous ? Comment voyez-vous cette notion de valorisation de votre startup ? Et si vous êtes investisseur, comment réagissez-vous ?
15 avril 2011 at 17:21
Perso, un chiffre qu’on m’a donné, que je trouve très utile et que je n’avais jamais vu : entre 20 et 40%.
C’est une fourchette de dilution classique des fondateurs. Pas mal également pour étalonner sa réflexion. C’est au final un autre moyen de voir la chose quand on sait quelle est sa valo pre-money (le capital social pour un premier tour) et combien on veut lever : on obtient une valo post très facilement !
A prendre avec des pincettes bien sûr.
15 avril 2011 at 20:13
Existe-t-il des moyens de levées de fonds en dessous de 150K€ ? La banque, la « love money » ? Est-il crédible d’aller voir des Business Angels pour demander 50 ou 100 K€ ? (comme dans Dragon’s Den… c’est malin, je suis devenu accro !)
23 février 2012 at 2:25
Bonjour Sylvain,
Il existe bel et bien des moyens de levées de fonds en dessous de 150K. Je vous propose de venir découvrir notre nouvelle plateforme qui répondra, je l’espère à vos attentes : http://www.myfirstcompany.com
N’hésitez pas à nous contacter pour plus d’infos.
Bien à vous,
MyFirstCompany
15 avril 2011 at 22:34
Excellent article. Pour avoir un peu étudié la question, j’en viens exactement aux mêmes conclusions.
Manque juste le développement d’un point : quelle importance pour un investisseur que sa mise représente 10% ou 30% d’une boite sachant qu’il ne pense qu’à en sortir pour faire une culbute ?
16 avril 2011 at 11:17
@Sylvain Lepoutre : Avec un bon projet et une équipe dirigeante convaincante 50 à 100K se trouvent encore auprès d’une banque, en combinaison avec OSEO.
En revanche, 50 ou 100 K€ s’envolent très vite en phase d’amorçage. Est-ce une somme suffisante pour lancer une start-up ambitieuse et être plusieurs à prendre des risques ?
Mais peut-être avez-vous déjà des apports personnels en capitaux ou « en industrie » ?
17 avril 2011 at 0:01
Merci pour l’article guilhem
Par contre, comment calcule-t-on la valo à la sortie des investisseurs ? et quel est le pourcentage standard de bénéfice que cherche un investisseur (de type BA par ex) au moment de la sortie ?
17 avril 2011 at 7:00
Merci Thierry pour ces précisions.
Je ne suis pas encore à la phase d’évaluation de la levée de fonds nécessaire. Il est vrai que j’ai pour l’instant l’ambition de commencer tout seul (jusqu’à trouver un bon associé), de ne pas me rémunérer, de travailler chez moi etc… pour faire simple, en ce moment, je m’imagine que je n’aurai que le coût de la R&D et le fonds de roulement à avancer… et c’est cela que j’estime entre 50 et 100 K€. Maintenant, qui sait si je n’aurai pas l’opportunité d’intégrer une couveuse d’entreprises, de trouver un partenaire, d’avoir besoin d’honorer une grosse commande payable à 90 jours, etc…
J’aurai un apport très faible, de l’ordre de 10 000 € tout au plus et certainement un peu d’argent de la famille si j’arrive à les convaincre.
Tout ça évolue rapidement dans ma tête… vivement que ça se fixe un peu (si ça se fixe un jour…)
17 avril 2011 at 21:34
Petit complément d’info : La méthode des multiples qui est utilisé par les fonds pour calculer une valo :
On multiplie l’EBE à +5ans à un « multiple » qui est un nombre correspondant au standard du secteur d’activité de l’entreprise puis on fait une dépréciation en multipliant par un pourcentage qui est fonction du risque prit par l’investisseur, et en général ce pourcentage est de 40% pour une startup.
Valo= EBE x k x T
12 mars 2015 at 21:27
Je suis intéressé par la question du calcul de la valorisation que vous indiquez Pour une startup dans le domaine de la santé (services), quel pourrait être ce multiple k que vous évoquez par exemple ?
18 avril 2011 at 16:46
Article intéressant sur la valo!
Parmi les réponses certaines sont intéressantes et j’aimerais ajouter un point sur les différentes méthodes de valorisation : des techniques classiques peuvent fonctionner pour certaines sociétés, mais elles trouvent en partie leurs limites quand il s’agit de société innovantes avec des innovations de rupture. Standard du secteur d’activité sur un marché qui n’existe pas encore ou qui est en train de se construire? Difficile de l’estimer.
Au final, la capacité à « vendre » son projet permettra de faire naviguer la valo de la boîte plus vers les bornes supérieures qu’inférieures. Un premier client et une équipe complémentaires pour des startup sont aussi un facture déterminant.
Enfin quand on parle de valo, bien sûr il est question de levée de fonds, mais aussi de revente. Et c’est vrai qu’autant la valo lors de levée de fonds avec des BAs peut être subjective (les arguments donnés sont excellents) autant lors d’une vente je me pose la question : et si les méthodes de calcul classiquement appliquées donnent des valos moindre ? Peut-on encore être sur des valos basées sur l’équipe, etc. J’ai des doutes… Mais je n’ai pas de connaissance absolue en la matière, et si quelqu’un à une opinion
19 avril 2011 at 2:09
Tiens, c’est intéressant de voir comment les choses se passent en France.
C’est surprenant que Business Angels et fonds d’amorçage soient autant séparés.
Ici (en Californie), VCs et angels investissent très souvent ensemble et on voit aussi des deals de VC de 250-500K dollars (même aussi faible que 150K dollars) et des deals de business angels uniquement jusqu’à plus de $2M. Et de nombreux deals sont un mix des deux. De nombreux très gros VC se mettent aussi à faire des deals de early-stage.
Finalement, j’aurais aussi tendance à dire qu’au delà de l’équipe, du produit et de la traction, le marché de l’investissement est de loin le facteur le plus important pour la valorisation.
Une même startup levant des fonds en 2009 sur une valorisation de 2M post-money pourrait lever sur une valorisation double dans les conditions actuelles d’investissement. (du moins en Californie…) Tout part du principe que pour pouvoir négocier, il faut avoir des alternatives…
Dernier point à considérer (et je ne suis pas sûr du fonctionnement en France), la part de l’entreprise réservée au employés. Si vous levez avec un « employee pool » de 30%, la dilution est beaucoup plus importante qu’avec un « employee pool » de 10% pour une valorisation identique.
Je serais bien intéressé de voir les termes d’une « term sheet » française standard, histoire de comparer les modes de pensée.
24 octobre 2011 at 20:53
J’arrive après la bataille mais l’article est intéressant.
Effectivement, il n’existe pas de méthode universel pour valoriser une startup contrairement à une société rentable quand on fait par exemple du cap dev.
M. Chamboredon, expliquait qu’en capital risque un fond a tendance à faire du reverse engineering. On part sur la valorisation estimée dans 5 ans et on regarde suivant le TRI que l’on recherche la valorisation de la société.
Par exemple une société qui se valorise à 100M€ dans 5 ans peut-être valorisée à l’instant t à 10M€. (on vise généralement un TRI de 50% ce qui revient grosso modo à un facteur 10 en 5 ans).
24 octobre 2011 at 22:19
Merci Guilhem pour cet article ! Je me posais justement la question aujourd’hui suite à un RDV business et j’ai vu ton tweet sur le sujet
25 octobre 2011 at 10:14
Et quid de la valorisation d’un startup non benéficiaire non pas vis-à-vis de BA ou VC mais vis-à-vis d’un industriel?
Merci
Boris
25 octobre 2011 at 14:08
Je me permets d’apporter le point de vue double d’une start-up qui fait de la valorisation d’autres start-ups !
Je rejoins tout à fait les avis concernant les méthodes classiques (DCF ou comparables) de valorisation appliquées au start-up, elles sont très compliquées à mettre en oeuvre et aboutissent surtout à des résultats assez erratiques.
Comme le disait justement Guilhem, ce qui va intéresser un investisseur ce sont les fondamentaux de la start-up, tout ce qui fait sa richesse et qui n’est généralement pas visible dans son bilan : son équipe, la techno développée, les clients déjà touchés, l’organisation mise en place, les actionnaires ayant déjà investi, etc.
Toute cette richesse porte un nom, il s’agit du capital immatériel et il est effectivement complexe de prendre en compte ces aspects et a fortiori de les évaluer financièrement. C’est pourquoi une première étape, qui satisfait un grand nombre de start-ups, est déjà d’identifier et de qualifier ces richesses immatérielles.
Et c’est sur la base de cette qualification qu’il sera alors possible, dans un deuxième temps, de définir une fourchette de valorisation de la start-up. Valorisation qui aura alors le mérite de reposer sur ce qui fait réellement la richesse de l’entreprise et non pas sur des hypothèses de business plan ou de comparables, forcément très discutables étant donné l’âge de l’entreprise.
A votre disposition pour en discuter plus longuement !
13 septembre 2014 at 12:01
Bonjour à tous, je vouidrais essayer de comprendre qu’est ce que la valorisation dans une startup.
Exemple : « une équipe a levée 10millions d’euro avec 5 millions de valorisation. »
Ma question est qu’est ce que ces 5 millions, ils servent à quoi,…?
En attente d’une réponse merci.
19 septembre 2014 at 12:50
Bah en l’occurence, là c’est impossible.
19 septembre 2014 at 12:54
Alors pouvez vous me donner une explication pour comprendre qu’est ce qu’une valorisation dans une levée de fond svp ?
6 janvier 2015 at 23:29
la valorisation c’est le prix total de l’entreprise si tu l’achetes à l’instant T
comme les investisseurs n’achete pas toute l’entreprise mais investisse pour la développer, pour un montant d’argent (le total de la levée de fond), il achete un morceau (un nombre de part, un % total de l’entreprise)
un valo de 10M avec une levée de fond de 4M ca veut dire je prend 40% de l’entreprise pour 4M
il y a alors 4M de cash en plus dans l’entreprise pour bosser