Les investisseurs français castrent-ils les entrepreneurs ?

On en a déjà parlé dans ces colonnes, mais c’est un paradoxe sur lequel j’aimerais revenir, pas pour pointer du doigt qui que ce soit, mais juste pour lancer une discussion de plus ici… Billet pas très organisé donc, plutôt sous forme de patchwork d’idées et de remarques…

LeWeb a été pour moi l’occasion de commencer à pitcher mon projet (plus de détails prochainement, promis, loin de moi l’envie de faire durer le teasing mais j’ai pas mal de truc à affiner avant que ça ait de la gueule, rdv mi février a priori). Et notamment à des investisseurs, la plupart étrangers. J’ai aussi eu des discussions super intéressantes avec quelques VC français, en revenant sur leurs dernières opérations et surtout sur ce qui les a motivées.

La plupart des entrepreneurs à succès (US, pour la plupart), ont eux aussi apporté leur eau au moulin de ma réflexion, tous pointant du doigt l’importance de réfléchir à long terme, d’avoir une vision… D’ailleurs on a terminé LeWeb sur une présentation très visionnaire du fondateur de SoundCloud, sur pourquoi le son serait à terme plus gros que la vidéo sur Internet.

Et lorsque je compare ces retours avec ceux que je peux avoir de certains autres types d’investisseurs, plus « seed stage », je me rends compte que nous avons une sorte de paradoxe, qui je pense empêche beaucoup d’entrepreneurs de donner la pleine expression de leurs talents…

  • d’un côté, on demande une vision à 5 ou 7 ans
  • les investisseurs ne sont pas intéressés par des « feature companies« , qui ne seraient pas « rachetables » en France (les grosses boites tech sont aux US, et rachètent autour d’elles des équipes directements intégrables chez elles)
  • les investisseurs demandent des marchés potentiels en dizaines voire centaines de millions d’euros, afin de pouvoir envisager les exits répondant aux impératifs de multiples
  • la plupart des acteurs du financement de premier tour demandent une preuve de marché, sous forme de clients déjà payants, ou avec un minimum de CA déjà facturé
  • et surtout, il y a une attente de produit déjà bien finalisé, sur un segment identifié, avec des actions commerciales bien posées.

Je pense que tous ces points créent une situation de paradoxe, puisque l’amorçage ne devraient pas à mon sens – en tout cas dans les projets web – demander forcément de preuves de marché aussi fortes.

Pour moi, la bonne répartition, ce serait :

  • pour l’amorçage, un choix basé sur les équipes, la vision et un gros potentiel de marché, amenant à quelques centaines de K€ pour recruter une équipe qui pourra bosser tranquillement pendant 12 à 18 mois ;
  • pour le tour de financement d’après, un choix basé sur les métriques (et une attention de tous les instants ensuite sur comment elles grandissent) et sur la techno ou les actifs qui auront été bâtis lors de l’année financée par l’amorçage. En gros, est-ce que les équipes ont exécuté, et comment elles arrivent à commencer à gagner de la traction.

Alors, pourquoi un titre aussi provocateur ? (à part pour générer du retweet – auquel je vous invite – parce que moi aussi j’ai des métriques à faire grossir ?)

Vers un écosystème de l'investissement vraiment efficace ?

Tout simplement parce que je pense que c’est schizophrène de demander à la fois un business simple, compréhensible, actionnable, presque rentable de suite ; et d’espérer avoir un business ambitieux porté par des équipes visionnaires. Et que donc les différentes poches d’investissement ne doivent pas forcément prendre les critères de la case d’après pour faire leurs choix !

Et vous, qu’en pensez-vous ?

 

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  1. Salut,

    Je suis bien d’accord, nous on nous a parlé que de ça, « quantifier notre marché » mais c’était plus « prouver votre marché » jusqu’à ce qu’on rencontre un mec pendant un salon qui nous a clairement dit, lancer votre boite, aller chercher vos clients, quand vous ramènerez de l’argent on pourra parler…

    • Nous étudions beaucoup les VC ici aux USA. Il ne faut pas oublier que les VC ont des sommes à investir très importantes et sont sous pression de leurs « investisseurs » pour rendre des multiples très intéressants à la sortie.
      Toutes ces caractéristiques rendent les entreprises en phase de démarrage, même early stage, de moins en moins pertinentes pour eux. Surtout dans le web, où les montants d’entrée sont très faibles, comparés aux CleanTech ou Biotechs. ce phénomène s’emplifie aux USA, où les VC se détournent de plus en plus des jeunes entreprises. Mais il y a un phénomène qui contrebalance ça : la présence d’un réseau d’Angels très fort et plus portés sur les seed et early stage (montants, risques multiples…) et de structures d’accompagnement comme les accélérateurs (Masschallenge, TechStars, Y combinator..) efficaces.

      En France ces deux catégories d’aide, les plus adaptées à de très jeunes boites, sont encore trop faibles… D’où un gros gap en matière de soutien aux entreprises… Alors oui les VC sont parfois très « castrateurs » et peuvent être contreproductifs envers les entreprises, mais c’est surtout, selon moi, un non-alignement entre vos intérêts et ceux des VCs qui clochent…

      Alors à quand des structures plus complètes en France? Lançons nous! :-) Au fait si votre entreprise est très technologique, nous avons, au consulat de France à Boston, un programme d’accompagnement pour jeunes startups technos pour former et accélerer leur développement aux US. On repart en février 2012, et on ne castre personne! Il s’appelle NETVA…

      Au plaisir de discuter avec vous!

    • Pas de chance, c’était un banquier !!! Tu aurais dû lui demander sa profession avant. Mais sinon je fais le même constat … malheureusement pour nous tous

  2. Je suis complètement d’accord avec ça. Les VC doivent savoir prendre des risques, tout autant que les entrepreneurs. Investir sur un business déjà rentable et bien huilé dans le seul but de le grandir ce n’est pas du VC, c’est du PE, et ça ne peut pas coïncider avec une vision long terme.

    La plupart des VC américains qui remportent le plus de succès en ce moment (a16z, USV, …) répètent sans cesse dans leur blog qu’ils recherchent avant tout une équipe exceptionnelle et une vision mégalo. Ca a l’air de bien marcher pour eux…

    • Oui ça c’est ce qu’ils disent parfois, mais dans les faits ils reculent de plus en plus leurs investissements vers des phases « development & expansion » que vers du early & seed. Ils galèrent énormémemnt à lever de l’argent auprès des fonds et sont sous pression pour ramener du résultat et du ROI. Malheureusement les boites trops jeunes ne leurs apportent pas cette satisfactio, et ils s’en éloignent de plus en plus…..

  3. Tout à fait d’accord, l’informallité de certain procédés américains permettent d’expérimenter en amont du Business model. Une expérimentation parfois onéreuse qui rendent les investisseurs réticents en France (europe ?). J’ai récemment posé la question à la CCI et c’est sans surprise qu’on rappelle l’importance des actionnaires en france qui adoptent un comportement managériale (limiter les risques au maximum), en comparaison avec les Etats Unis où on fait plus attention au ratio opportunités/risques potentiels du projet en adoptant un comportement de leader (savoir prendre des risques).
    On peut les comprendre… néanmoins ma question serait: comment valoriser cette prise de risque au niveau de la phase d’expérimentation du projet?
    On parle de banaliser le business plan dans l’autre continent. On valorise les leaders et la capacité des personnes à innover, néanmoins à ma connaissance on ne valorise pas assez les prises de risques, notamment lorsqu’on touche à des services/produits innovants.
    Dans un monde où tout évolue très vite, il faut savoir prendre des décisions et les mettre en application rapidement. Un domaine où nous avons encore beaucoup à faire en France: (mon avis)

  4. C’est pas la mer à boire de trouver 3 clients, quitte à commencer par vendre un produit très simple. Les VC ont bien raison de demander au moins ca et il n’y a pas de « paradoxe ». Pas de raison de donner des sous à des entrepreneurs qui trouvent normal de souhaiter des centaines de milliers d’euros et rechignent a faire quelques ventes, meme petites pour prouver leur volonté.

    • ça dépend du business model. Notamment dans le secteur du consumer web, ce qui a de la valeur c’est la masse critique d’utilisateurs. Tous les monstres des réseaux sociaux ont fait 0 revenu pendant un bout de temps avant d’être valorisés plusieurs milliards parfois toujours sans revenu (twitter).

    • Bien sur, ils ont raisons de demander des clients, des garanties. Je constate simplement que dans certain secteurs innovants (notamment web), la création se fait en deux temps: une bêta qui peut vivre assez longtemps pour rassurer de potentiels investisseurs et une levée de fond pour pérenniser l’activité. Les moyens ne sont pas les même pour tous le monde.
      On trouve des solutions de crowdfunding pour répondre aux besoins d’expérimentation, néanmoins celles-ci ne sont pas toujours suffisantes et nécessitent de répondre à une problématique sociale sur laquelle les philanthropes peuvent s’identifier. Je profite de cette article pour faire le lien avec un projet associatif sur lequel je me penche récemment, qui viserait à expérimenter les projets qui possèdent une phase d’expérimentation assez longue (éducation, web,..) dans le but de conforter les investisseurs et clients potentiels. Critiques et commentaires appréciés :)

  5. Pour ma part, je trouve que beaucoup de startups veulent lever des fonds trop tôt. Au final, c’est plutôt négatif. En plus d’être chronophage ,il y a peu d’arguments pour négocier et éviter d’y laisser une bonne partie de son capital.
    Sinon je partage ton point de vue Guilhem. A l’amorçage la décision d’investir devrait être prise par rapport à l’équipe, la solution innovante proposée et le potentiel du marché. Du moins c’est ma façon de voir:)

  6. bienvenu dans le monde de la levée de fonds française

    T’as plus qu’a trouver des sous auprès d’OSEO (le concours de l’innovation est bien pour ça) pour construire ta techno et obtenir tes premiers clients.

    C’est pas avant que l’argent privé viendra à ta rencontre (à moins d’un très bon réseau, d’être un sérial et faire du copycat)

    A bon entrepreneur…

    • Tous les investisseurs Français ne sont pas incompétents! Non mais! 😉
      Personnellement, je constate assez souvent un décalage entre les attentes des entrepreneurs et celles des BA.
      D’un coté, on a certains entrepreneurs qui demandent des fonds uniquement avec un bout de papier comme argument( et avec une valo prémoney de 1,5M€ svp!).
      De l’autre, certains BA qui exigent des garanties à la limite du livret A.
      Mais ça avance dans le bon sens, il faut encore être un peu patient:)

    • Euh….je me frotte les yeux… Oséo… c’est de l’humour, c’est ça ?…

  7. L’équipe et le CA voilà les clés pour amadouer un investisseur d’après notre expérience (négative ;=(

    le CA minimum ? beaucoup de biotech lèvent des fonds sur rêve avec il est vrais des perspectives de CA mégalomaniaques :=)

    entendre dans le train(bonne source d’infos) une responsable de biotech clamer qu’elle ne fera du CA qu’en 2018… laisse rêveur non? du rêve voilà la clé!

    • Je pense que c’est difficile de comparer une entreprise de Biotech avec une startup Web;)
      Je vois souvent la même façon de faire pour lever des fonds: Prendre la liste de tous les clubs de Business Angels et envoyer son Executive Summary.
      En faisant ça, c’est déjà le meilleur moyen de perdre du temps. Pourtant la démarche est simple et c’est la base même du commerce: Cibler ses prospects.
      Adressez-vous aux bons interlocuteurs sinon vous allez passer du temps à courir dans tous les sens pour rien au lieu de vous occuper de votre startup:)

  8. Bonjour à tous, fidèle lecteur de Guilhem je prends la parole pour la première fois puisque je vis dans la recherche de la bonne stratégie pour ma « startup » initiée depuis 9 mois.

    Mon opinion :

    Ne mettons pas la charrue avant les bœufs.
    Il vaut mieux travailler un business modèle à 2 étages… 2+ 0,5 en fait.
    1 : Rentabilité, équilibre…voir profit basé sur des produits services basiques qui masquent l’étape 2.

    1,5 : Le passage le plus difficile du stade 1 au Stade 2. Trouver la bonne formule, la taille critique pour commencer à rendre crédible et à tester l’étage 2 du business modèle.

    2 : Trouver le bon investisseur pour vraiment décoller à long terme, celui-ci sera à la fois convaincu par le pragmatisme et le sérieux dégagé par l’étape 1 (aussi petite soit-elle), et grâce à l’étape 1,5 croira en l’étape 2.

  9. Je ne vois pas où est le paradoxe ou la matière à débat Guilhem.

    1) Les fonds d’investissements ont pour mission d’investir des fonds dans des sociétés et de leur prodiguer des conseils, en échange de capital le tout dans le but de revendre leurs parts 4-6 ans plus tard et de réaliser une plus-value, exprimée en multiple de leur investissement.

    2) Même si c’est un des (heureux) effets secondaires de l’opération (qui motive beaucoup de professionnels du secteur) il ne s’agit pas de soutenir l’innovation ou l’entrepreneuriat mais bien de réaliser de bons multiples via l’investissement initial et l’accompagnement de la société. Attention, ça n’est pas non plus du M&A mais le VC est tout de même la première marche du PE… C’est très différent d’organismes publiques, Etatiques ou philantropiques comme Oséo, France Entreprendre, Cap Digital ou Scientipole qui ne sont pas des fonds d’investissements et oeuvrent dans d’autres buts.

    3) En moyenne dans le monde, les fonds de VC font mal leur travaille et rapportent peu/pas d’argent à leurs propres investisseurs. Toutefois, le top décile/quartile des VCs réalisent des performances financières exceptionnelles et leurs investisseurs (ainsi que leurs partners) en reçoivent des retours financiers importants qui justifient les risques inhérents à une telle activité.

    4) De tels fonds (le haut du panier) reçoivent plusieurs milliers d’opportunités d’investissement par an et rencontrent des centaines d’entrepreneurs. Or une société vendue 30m€ et une société vendue 150m€ nécessite à peu près la même quantité de travail pour un fonds (tout le travail en amont de l’investissement puis les board meetings, les calls, les mises en relations, etc…). Or le temps (et particulièrement celui des Partners) est la ressource la plus rare et précieuse d’un fonds d’investissement.

    5) Ainsi, il s’agit toujours pour les fonds d’un arbitrage à réaliser entre les différentes opportunités qui se présentent à lui. Refuser d’investir dans une société pour toutes les raisons mentionnées dans cet article ou dans les commentaires ne signifie pas que les investisseurs trouvent cette société mauvaise dans l’absolue mais qu’ils préfèrent allouer leurs fonds et leur temps à des sociétés présentant un couple risque/retour potentiel plus favorable.

    CQFD

  10. Bonjour Guilhem,
    La où le bas blesse en amorçage, c’est au niveau des valos débiles où les startuppers sont persuadés qu’en dessous d’1.000.000 €, ils ne seront pas crédibles.
    Cherchez l’erreur, camarades et un peu d’humilité SVP :)
    Angéliquement.
    Patrick

    • 1 000k€? T’as de la chance Patrick! 😀
      Jeudi j’ai encore eu le droit à quelques valos farfelues. Aucune équipe, aucun produit, juste une idée sur un papier.
      A ce prix là, je suis prêt à proposer une idée par mois:)

  11. Hey all,
    Merci vraiment pour vos réactions, le débat a toujours du bon.
    J’ai écrit une suite à ce billet pour clarifier mes propos…

    http://www.guilhembertholet.com/blog/2011/12/14/a-propos-de-la-castration/

    ++
    Guilhem

  12. Salut Guilhem,

    Et oui, paradoxe à la française.

    Je pense qu’il s’agit surtout d’une histoire d’habitude.

    J’en discutais récemment avec une amie. Les américains ont vraiment une culture de l’entreprise et de entrepreneuriat différente de la nôtre.

    Prendre des risques font partie de leur quotidiens, de leur habitude.

    Ils sont prêt à risquer leur porte feuille juste sur une idée posée sur le papier et investir un minimum avec des personnes motivées pour la vérifier.

    Après, bien souvent, les demandes de levées de fond sont souvent ahurissante (voir débile) par rapport au projet.

    J’ai récemment rencontrés le même « problème » lors d’un salon. J’en parle dans un billet.

    Alors que je n’ai pas besoin d’une levée de fond énorme (et loin de là même).

    Quand on sait qu’au USA, des jeunes de 10 ans sont pdg de boîte qui génère quelques milliers de dollars par an, en France, on a encore pas mal de progrès a faire.

  13. Nous étudions beaucoup les VC ici aux USA. Il ne faut pas oublier que les VC ont des sommes à investir très importantes et sont sous pression de leurs "investisseurs" pour rendre des multiples très intéressants à la sortie.
    Toutes ces caractéristiques rendent les entreprises en phase de démarrage, même early stage, de moins en moins pertinentes pour eux. Surtout dans le web, où les montants d'entrée sont très faibles, comparés aux CleanTech ou Biotechs. ce phénomène s'emplifie aux USA, où les VC se détournent de plus en plus des jeunes entreprises. Mais il y a un phénomène qui contrebalance ça : la présence d'un réseau d'Angels très fort et plus portés sur les seed et early stage (montants, risques multiples…) et de structures d'accompagnement comme les accélérateurs (Masschallenge, TechStars, Y combinator..) efficaces.

    En France ces deux catégories d'aide, les plus adaptées à de très jeunes boites, sont encore trop faibles… D'où un gros gap en matière de soutien aux entreprises… Alors oui les VC sont parfois très "castrateurs" et peuvent être contreproductifs envers les entreprises, mais c'est surtout, selon moi, un non-alignement entre vos intérêts et ceux des VCs qui clochent…

    Alors à quand des structures plus complètes en France? Lançons nous! :-) Au fait si votre entreprise est très technologique, nous avons, au consulat de France à Boston, un programme d'accompagnement pour jeunes startups technos pour former et accélerer leur développement aux US. On repart en février 2012, et on ne castre personne! Il s'appelle NETVA…

    Au plaisir de discuter avec vous!

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